TEXTES

L’ESPACE DE LA PEINTURE // LA PEINTURE DANS L’ESPACE

« Aujourd’hui, toutes les quincailleries vendent des rouleaux à peindre et de grands pots de rouge, de jaune, de bleu. Sur la planète, il est vrai, tout le monde n’a pas encore accroché son Monochrome ». 1

À l’origine il y a un regard, et l’influence d’un contexte à la fois d’existence, mais aussi de présentation de la peinture, qui déterminent sa lecture et sa perception. Un regard porté sur le monde, notre quotidien  : une certaine esthétique collective que je traduis en terme de matières, de supports, de gestes, de surfaces.
Mon travail s’inscrit dans l’héritage du minimalisme et de la peinture radicale , concrète, interrogeant le médium peinture au travers ses propres moyens d’existence.
Je considère, pense et produis des peintures avec comme postulat de départ, ce qu’Olivier Mosset définit comme  « des ready-made invisibles », quelque chose qui existe déjà : formes, couleurs, objets, espaces, des éléments concrets.
J’emploie principalement des peintures de bâtiment, industrielles (similaires à celles appliquées sur le mur), ainsi que des laques de carrosserie et parfois de l’huile, variant aussi les outils : brosse, rouleau, pistolet, le plus souvent en minimisant toute trace de facture.
La question du support est essentielle dans mon travail. Je me laisse la liberté d’investir différents espaces tels que le mur et le tableau, ne me limitant pas à ce dernier bien que celui-ci tienne une place fondamentale. La notion [d’espace de la peinture et de peinture dans l’espace] est devenue au fil du temps l’axiome de ma recherche, conditionnant à la fois mon regard, ainsi que ma manière de concevoir la peinture.
Faisant écho au positionnement de Frank Stella : « What you see is what you see », mes peintures revendiquent une position frontale dans le sens où ce qu’il y à voir c’est cela : de la peinture. Néanmoins, il n’est pas uniquement question de révéler l’espace extérieur au tableau, mais aussi d’inclure celui-ci dans la perception de la peinture, en traitant de la réalité matérielle des composantes de cette dernière.
Le mur joue un rôle majeur, il est au cœur de mon travail impliquant une notion de champ hors-champ, de vide et de plein que le format sublime par sa présence.
Cela se traduit par une réflexion sur la notion de limite du médium, autant sur le plan formel que conceptuel. J’aborde le mur tel un catalyseur : la condition première et déterminante de l’existence de l’objet peinture. Comme le dit Georges Perec dans son œuvre Espèces d’espaces : « Il y a des tableaux parce qu’il y a des murs ». 2
Ce texte nourrit ma réflexion qui tend depuis quelques temps à se réduire à l’utilisation de la couleur blanche. Devenant le dénominateur pictural commun à l’espace de la toile et au mur qui lui est contigu, le blanc s’affirme comme un lien spatial et conceptuel, arrimant la toile à son contexte d’exposition. Mon travail ne relève pas uniquement du monochrome – je n’utilise néanmoins que rarement plus d’une couleur sur la surface – laissant parfois des zones non peintes pour leurs qualités chromatiques. Le contraste que cela implique, génère alors une dynamique mettant en jeu cette problématique de la limite, qui m’intéresse beaucoup.

1 Pol Bury, La France adultérine, Caen, l’Echoppe, 1990, n.p.

2 Georges Perec, Espèce d’espace, (Murs), Mayenne, Galilee, 2005.

« Ma vie égale ma vie moins un »

Yi Sang, 1933

Quand on fait une exposition, à Bikini ou ailleurs, on repeint les murs pour effacer les traces de l’exposition précédente. Les artistes ont des idées étranges : il faut toujours qu’ils peignent les murs en jaune ou accrochent une sculpture au plafond. En fait ça n’a pas d’importance, le white cube est au monde de l’art ce que le fond vert est à celui du cinéma : le décor par défaut de n’importe quelle exposition. Le blanc est là pour rétablir la situation de départ. Les tableaux de Guillaume Boulley ne sont pas peints différemment des murs sur lesquels ils sont accrochés. En appliquant sur une surface donnée une quantité toujours insuffisante de peinture, l’artiste confère à la toile de lin brut un statut inhabituel : d’abord elle devient une couleur, par opposition au blanc (qu’on associe plutôt à la préparation d’une toile), ensuite elle devient une valeur qui crée un contraste fort avec les parties peintes et le mur qui les prolonge. Les « vides » dévoilent par l’irrégularité de leurs bords l’application banale de la peinture sur la toile, mais au lieu de se présenter comme des « trous », ils semblent paradoxalement mis en avant, portés au premier plan. C’est la toile brute elle-même qui est magnifiée en tant que matériau et en tant que contexte par défaut de la peinture. Guillaume Boulley n’expose pas seulement le geste de peindre (peindre comme tout le monde et sans affect), mais aussi celui de ne pas peindre. Le pragmatisme presque mystique dont il fait preuve peut avoir quelque chose d’effrayant, pourtant il se rapproche d’une forme de contemplation qui remplacerait celle de la nature : une fascination « objectiviste » pour le bois et pour l’aluminium, pour la toile de lin préparée, pour les grands formats, pour les peintures terminées avant qu’on les ai commencées. 

Hugo Pernet